Instant shopping : Combien pour ta vie ? ღ Sere/Suri

Les yeux de Suri s’ouvrirent péniblement. La tête encore embrumé par le gaz qui l’avait littéralement assommé afin de pouvoir la transporter sur les lieux du jeu, elle tenta de détailler les visages alentours. Ils devaient être une vingtaine dans cette salle d’école et au vu des uniformes, ils ne faisaient pas tous parti de son groupe. Elle grimaça avant de dégager les cheveux qui lui retombaient sur les yeux. Comme lors de sa première participation, les organisateurs avaient choisi une salle de classe comme point de départ, sans doute un clin d’œil aux jeux originels nippon.

Un décompte avait été lancé et les secondes s’égrainaient sur la surface blanche du tableau. Lorsqu’il atteignit zéro, la vidéo de présentation se lança. Les règles étaient rappelés aux différents participants, ils apprirent également qu’ils avaient séparés volontairement de leur groupe d’origine afin de pimenter un peu plus le début du jeu. Les départs de l’école se feraient par ordre alphabétique et ce, toutes les deux minutes. Suri quitta le tableau des yeux quelques secondes pour scruter les réactions de ses futurs ennemis, elle repensa à ses premiers jeux et dans quel état elle se trouvait à ce moment là. Elle aurait aimé que ce ne soit qu’une simple impression de déjà vu, malheureusement, un pincement sur le dos de sa main lui confirma qu’elle ne rêvait pas et qu’elle était de retour en enfer. Ses yeux continuèrent leur prospection et finirent par se poser sur les militaires postés aux quatre coins de la pièce. Ils étaient là pour faire régner l’ordre et fournir les paquetages contenant l’arme.

Dans sa contemplation, elle avait perdu le fil de la vidéo et les prénoms commençaient à être énumérés. Peu avant que son tour n’arrive, ses doigts s’enroulèrent autour de l’anse de son sac personnel, prête à sortir le plus rapidement possible.


Entendre son prénom engendra un loupé dans les battements de son cœur. L’asiatique se leva et attrapa le paquetage qu’on lui lança sans ménagement. Elle recula légèrement sous l’effet du choc mais ne demanda pas son reste. Elle traversa les couloirs de l’école et sortit enfin à l’extérieur, priant que personne n’ait fait le pied de grue devant. Allez, les jeux venaient de débuter et il ne faisait pas bon de rester dans le coin plus longtemps. Suri agrippa ses sacs plus fermement et se mit à courir. Elle ne savait pas vraiment où elle allait mais pour l’instant, elle devait mettre un maximum de distance entre elle et les autres. Ses pas la menèrent dans la zone industrielle et sans réfléchir plus que ça, elle pénétra dans le centre commercial. C’était le moment ou jamais d’aller récupérer quelques trucs supplémentaire à grignoter. Tous les participants n’étaient pas encore arrivés sur les lieux, il fallait donc qu’elle se dépêche. Bien évidemment, l’électricité avait été coupée et le temps peu clément rendait l’endroit lugubre ainsi plongé dans l’obscurité. Dans la petite galerie marchande, elle tendit l’oreille afin de s’assurer qu‘elle était la seule ici présente. Rassurée, elle continua sa route et s’engouffra dans les rayons. Elle flâna un peu avant de saisir une conserve. Ça ne lui serait d’aucune utilité, il lui fallait des aliments secs. Alors qu’elle allait reposer la boite de métal, un bruit attira son attention.

Tadam tadam

Et c’était reparti, son palpitant augmenta la cadence. Elle se déplaça silencieusement dans les rayons, cherchant à capter l’intrus. Au loin, vers les têtes de gondole, une ombre traversa son champ de vision. Suri se maudissait de ne pas avoir était un peu plus curieuse quant à ce qui se trouvait dans son sac. L’arme que le hasard lui avait attribué aurait peut être pu l’aider à ce moment là. Tant pis, en visant bien, une conserve bien remplie pouvait faire mal. Elle s’avançait, le pas mal assuré quand l’intrus lui rentra dedans. Elle prit le dessus instantanément et tendit son bras en arrière dans le but d’assener un terrible coup sur le crâne de l’intrus. Elle hésita en découvrant le visage d‘une blonde qui paraissait totalement perdue.

Elle n’est pas à sa place. Rien ne l’a préparée à cela. Elle, une gentille et non-violente citadine exposée de force à une expérience qu’elle n’a pas choisie. Les évènements se succèdent sans que sa conscience ne l’accepte. Elle se demandait même ce qu’elle a pu faire pour mériter un tel traitement… Ce n’est pas humain d’éloigner de force – enlever, pour ainsi dire – quelqu’un de sa famille. Bien sûr, elle connait les jeux de nom. Mais, au grand jamais, elle ne se serait imaginé les vivre. Ses parents leur ont expliqué, à elle et ses frères et sœurs, il y a cela des années,  que c’était une possibilité. Depuis lors, son seul souhait à ses anniversaires avait été d’échapper à ce destin qui, au vu de sa personnalité, ne pouvait signifier que la mort.

Pourtant, elle est assise dans une salle où visages apeurés, absents ou encore déterminés se confrontent. Habillée de sa combinaison à la couleur bleue de son équipe, les quilins a-t-elle fini par enregistrer, elle a le regard dans le flou, espérant se réveiller de ce cauchemar, notamment vestimentaire. Elle n’a même plus conscience des personnes qui, autour d’elle, disparaissent dorénavant. Dans sa tête, elle fredonne la berceuse que lui chantait sa mère quand elle était enfant.

Bientôt, une tension envahit la pièce. Les gardes à chaque coin de la pièce commencent à gesticuler et à montrer des signes d’impatience. Perdue dans son monde utopique à dix milles lieux de là, Serehnia ne s’en rend compte que trop tard. Un militaire la pointe de son arme à bout portant, la sommant de se lever et sortir. Dans un sursaut apeuré, elle reprend pied avec la réalité au même moment où ses fesses touchent le sol, lui soutirant un couinement de peine. Toujours au sol, elle se précipite alors de ramasser son sac et, après quelques regards autour d’elle, se dirige vers la sortie, d’abord à quatre pattes puis se relève petit à petit.

Ses jambes la portent vers le début de sa fin sans que son cerveau n’ait à faire le moindre travail. Et, rapidement, elle se retrouve à l’extérieur, dans un environnement inconnu. En mode pilote automatique, son inconscient l’a conduite irrémédiablement au premier lieu qu’il a reconnu : un centre commercial à l’abandon. C’est aux senteurs que Serehnia est revenue à la réalité. Le mélange de parfum, d’épices, de nourriture et de… poussières a réveillé ses sens. Elle flâne au hasard dans les allées,  elle récupère un parfum après s’en être aspergée, un petit rectangle en métal brillant qui est en fait un briquet avant de se diriger vers la nourriture. C’est en rangeant ses trouvailles dans son sac qu’elle y découvre les grenades. Elle en sort une pour l’étudier, ne sachant pas réellement de quoi il s’agit. Une chose est certaine dans son esprit néanmoins : ce n’est pas elle qui a mis cela dans son sac.

Jouant avec la goupille, elle ne fait pas attention à son environnement. Stupide action vu le contexte. Mais c’est Serehnia. Jamais à penser au mal. Jusqu’à ce qu’elle se le prenne en pleine face et, par des mouvements improbables, se retrouve au sol. Lorsqu’elle rouvre les yeux, une asiatique est au-dessus d’elle, tenant une conserve dans les mains, le bras tendu en arrière. « Hey ! C’est un peu trop ta réaction ! On s’est juste rentrées dedans ! » s’exclame-t-elle, devant l’air féroce de son opposante, après que la frayeur se soit atténuée légèrement. Elle comprend finalement les intentions de l’asiatique en avisant sa tenue. « Oh ! Tu comptes me tuer… Tu peux le faire avec quelque chose qui est bon au moins ? Parce que les salsifis… » se résigne-t-elle en levant les yeux au ciel, sachant pertinemment que ce monde n’est pas pour elle. Elle n’avait jamais été violente et ne comptait pas le devenir, même si cela devait lui coûter sa propre vie. Elle regarde autour d’elle et tend doucement le bras. « Tiens ! Je préfère les carottes ! » dit-elle en montrant une boîte de conserve représentant ses dernières.

Le bras toujours tendu, Suri reprit ses esprits peu à peu. Les gestes étaient mécaniques mais il lui fallait un petit temps d’adaptation afin de saisir la situation pleinement. De sa main libre, elle plaqua l’épaule de son adversaire un peu plus sur le sol pour garder le contrôle au besoin. Mais la fille n’avait pas l’air de vouloir s’y opposer, elle semblait plutôt résignée. « Un peu trop ? » reprit-elle avec un ton clairement abasourdi. Non, ce n’était pas trop de vouloir défendre sa vie coute que coute.  Les réactions devenaient vite excessives au cours du jeu, c’était le début et cette fille subissait sa première confrontation.  Elle ne se rendait pas compte qu’à partir de maintenant, elle n’avait plus d’amis, que des ennemies et qu’il fallait se méfier de chaque personne rencontrée.

Suri soupira en l’entendant continuer. Ok, cette fille ne prenait pas le jeu au sérieux et ne réalisait pas vraiment dans quel pétrin elle s’était fourrée. L’asiatique esquissa un léger sourire agacé, c’était bien sa chance d’être tombé sur un phénomène pareil.  Était-elle vraiment naïve ou faisait-elle semblant de l’être ? Tel était le dilemme qui s’insinuait lentement dans sa tête. Alors, elle décida d’observer et faire attention aux détails, jaugeant enfin cette blonde qui semblait un peu écervelée. Combinaison turquoise, elle appartenait donc au groupe des Qilin. Pour y avoir fait partie lors de ses premiers jeux, Suri savait qu’ils n’étaient pas les plus à craindre. Passons, les yeux de la brune descendirent lentement le long du bras qu’elle avait bloqué par pression et remarquèrent que la main de la blonde renfermait un objet rond. Cela ressemblait fortement à une grenade et en s’y attardant un peu plus, elle comprit que s’en était bel et bien une et qu’en plus, elle était dégoupillée. Son pouls s’accéléra en un temps record et des sueurs froides commencèrent à l’assaillir. Il ne fallait surtout pas que la blonde  relâche la pression de ses doigts contre l’arme sphérique ou elles étaient mortes toutes les deux. « Pourquoi est-ce que tu te promènes avec une grenade dégoupillée dans les mains ? N’est-ce pas excessif aussi ? »

Pour quelqu’un qui ne semblait pas très lucide quant aux évènements alentour, c’était un peu exagéré. Suri devait la jouer fine ou elle risquait de finir en hachis Parmentier et ce, dès son premier jour. « Si tu ne veux pas mourir maintenant, aide-moi à retrouver la goupille. »  dit-elle avant de jeter la conserve plus loin sans relâcher la pression sur le corps de la blonde. Bon, elle devait s’assurer que l’autre garderait la grenade fermement au creux de sa main. C’est pourquoi, sa propre main alla chercher celle de la Qilin afin de l’envelopper. « Garde-la bien fermée si tu ne veux pas nous faire exploser toute les deux. » dit-elle en captant son regard, elle hésita un instant et espérait ne pas regretter ce geste. « Je vais te libérer… » Et te laisser la vie sauve, pensa-t-elle silencieusement « alors n’envisage pas quelque chose de suicidaire. » C’était du pile ou face pour elle. Alors que Suri s’était promise de ne pas se laisser berner ou attendrir, à la première paumée rencontrée, elle rompt ses promesses. Il fallait que cette fille saisisse la chance qui lui avait été donné. L’asiatique aurait très bien pu capturer sa main, lui arracher la grenade des doigts et l’assommer par la suite. Mais elle avait choisi un chemin plus pacifiste. Avait-elle fait une erreur ?

Suri se dégagea du corps de la blonde et commença à chercher autour d’elle tout en gardant discrètement un œil sur l’autre. Elle était sur le qui-vive et son cerveau tournait à mille à l’heure. Sans s’en rendre compte, elle cherchait une échappatoire pour fuir cette situation. Elle se demandait également si elle ne ferait pas mieux de la tuer tout de suite, là, au beau milieu d’un rayon de conserve. Ce sentiment oppressant d’avoir fait le mauvais choix la quitterait peut-être.